B

Back to the country

Bains

Je regarde par la fenêtre, le ciel est couvert mais il ne pleut pas. Le fond de l’air est frais, mais rien d’anormal, nous sommes quand même à la Toussaint. La mer est calme. Comme chaque jour, je vais aller prendre un bain. J’ai la chance d’habiter en face de la plage. Les vagues semblent m’appeler. Je me sens tellement bien après cette immersion dans l’eau verte de la Manche. Une vraie régénération, un renouveau, presque un baptême.

 

Mes affaires sont dans mon sac orange. On m’en a donné deux avec des produits de beauté dans une pharmacie. Maillot de bain, serviette et lunettes de soleil, me voilà parée ! Je ne m’encombre pas de vêtements, c’est là l’avantage d’habiter en bord de mer. J’enfile mon maillot une pièce noir, je m’enveloppe dans ma serviette bleue Klein, et hop, c’est parti ! Pour éviter de me faire voler mes clefs, j’ai un plan.  J’habite dans un appartement qui est tout seul sur son étage. J’ai racheté le couloir à la copropriété et j’ai sécurisé les accès. Je suis avocate, je vis seule et je vois tellement de détraqués que je ne laisse rien au hasard. La porte de mon appartement est blindée. Je cache les clefs dans un endroit connu de moi seule dans le couloir. Personne ne peut accéder à mon étage par l’ascenseur, parce qu’il faut une clef spéciale. Depuis trois ans, quand je vais prendre un bain, je passe par l’escalier,  je laisse la porte du couloir  déverrouillée, et à moi la grande bleue !

 

J’ouvre le sac. Problème ! A la place de mon maillot sobre et élégant acheté aux Galeries Lafayette, je sors un bikini à volants rose à pois blancs. Il y a aussi un soutien-gorge à balconnets plus que voyant. Zut ! Mon amie Priscilla s’est trompée de sac. C’est une femme adorable, mais avec des goûts vestimentaires pour le moins originaux. Je travaille pour son association. Nous défendons la veuve et l’orphelin. Prisci est une sorte de sainte qu’on pourrait qualifier d’atypique. Elle ressemble plus à Kim Kardashian qu’à Mère Teresa. Mais elle est tellement généreuse ! Elle a passé quelques jours chez moi, je ne vous cache pas que j’ai été contente de la voir partir. Nous avons des façons de vivre tellement différentes ! Elle se sera trompée de sac en partant. Ce n’est pas grave. J’ai vraiment envie d’aller me baigner. J’enfile le maillot Barbie, je sors la serviette…elle est rose avec écrit en lettres pailletées « LOVE ». Formidable ! Un rayon de soleil traverse la baie vitrée, je m’imagine dans les vagues. Il faut absolument  que j’aille nager. Je m’enroule dans la serviette. Je vais prendre l’ascenseur pour une fois. Je dissimule mes clefs et je pars. Personne, c’est mon jour de chance. Je regarde mes pieds dans les tongs de Priscilla. Pas besoin de vous dire de quelle couleur elles sont, vous avez deviné je pense. Deux gros cœurs brillants ornent le dessus.

 

Je traverse le boulevard maritime d’un air détaché. Personne ne me reconnaitra dans cet accoutrement. Arrivée sur la plage, je fouille dans le sac, il doit y avoir un bonnet de bain. Aïe ! Je vous passe la description, je ne sais pas où elle peut trouver des horreurs pareilles. Oublions ces petits tracas, le principal est de pouvoir se baigner. J’entre assez vite dans l’eau qui est encore à 17 degrés, quelle chance ! Je m’arrange pour que ce soit marée haute, je ne veux pas avoir à marcher trop longtemps et me geler en sortant. Les vagues me portent, je me sens légère. Nous sommes quelques-uns à  faire encore trempette en cette saison. Je sens l’eau me masser le corps, c’est une véritable thalassothérapie. Je me suis comme ces jolies dames du début du vingtième siècle qui venaient profiter de la mer sur nos côtes. On disait que la mer guérissait toutes les maladies.

 

Après quelques mouvements de brasse, je sors de l’eau, vingt minutes sont largement suffisantes. Je suis rose de froid. C’est bon pour la circulation du sang. Je mets la serviette autour de moi, elle est assortie à ma peau. Vite, ne traînons pas ! Je traverse la rue, le feu est vert, tant mieux. J’arrive devant la porte de mon immeuble. Je monte dans l’ascenseur, sauvée ! Je me regarde dans la glace, et là, horreur ! Je vois une créature dégoulinante, avec un bonnet de bain orné de grosses fleurs en plastique. Les énormes lettres du mot « LOVE » scintillent sous les lumières. Un frisson d’effroi me parcourt : je n’ai pas mes clefs ! Je ne pourrai pas accéder à mon étage par l’ascenseur, puisque la clef est restée sur le trousseau ! L’idiote ! Comment ai-je pu me faire avoir de la sorte ? Dans mon corps gelé par l’eau froide, mon cerveau entre en ébullition. Pas la peine de monter par l’escalier, j’ai complètement oublié de déverrouiller la porte du couloir. Les deux accès qui me permettent de rentrer chez moi sont fermés, et mes clefs sont à l’intérieur, bien joué Marie ! Réfléchissons vite. Pierre-Jean ! C’est mon compagnon, il habite à côté, il a mes clefs, je suis sauvée ! Prenant mon courage à deux mains, je remonte ma serviette sur mon soutien-gorge à volants et balconnets, et je sors les lunettes taille XXL de Priscilla. Je pars d’un bon pas en direction du domicile de mon bien-aimé. Les cinq cents mètres qui me séparent de sa maison, me paraissent interminables, mais je garde la tête haute, il faut faire comme si tout était normal, c’est la seule façon de ne pas se faire remarquer. Je sonne enfin à la porte. Il est 11h45, il est forcément chez lui. Pas de réponse… Ne nous affolons pas, il n’a peut-être pas entendu. Je sonne à nouveau. Après cinq minutes passées sur le trottoir en petite tenue, je commence à avoir bien froid. Il faut se rendre à l’évidence, Pierre-Jean n’est pas encore rentré. Il ne va sûrement pas tarder, mais je ne peux pas rester ainsi dans la rue. Je sonne à la porte de la maison d’à côté. Un homme d’une quarantaine d’année ouvre. Il est habillé d’une façon vieillotte, ses cheveux sont lissés à la brillantine sur le côté, et il porte des lunettes cerclées de métal doré. Il a un mouvement de recul devant mon look improbable. Il me fait tout de même entrer, ma détresse doit être palpable.

 

-       Je suis confuse de vous déranger. Je suis allée prendre un bain de mer, et je me retrouve à la porte de mon appartement. La situation est complètement ridicule. Mon ami habite à côté, mais il n’est pas rentré. Puis-je l’appeler de chez vous ?

 

-       Bien sûr, je vous en prie.

 

Il me montre le téléphone.

 

-       Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de Pierre-J…

 

Je raccroche. Ça devient cauchemardesque cette histoire ! Pourquoi ne répond-il pas ? Il n’oublie jamais son portable ! C’est un angoissé qui veut toujours être en lien avec ses amis et sa famille ! J’essaie à nouveau sans plus de succès. Je finis par laisser un message.

 

-       Je suis désolée de vous avoir dérangé. Je vais retourner chez lui, il est sûrement rentré maintenant.

 

-       N’hésitez pas à revenir en cas de besoin.

 

 

Je crois deviner un éclat un peu lubrique dans les yeux de mon hôte, mais ce sont peut-être les lunettes de soleil que je n’ai pas quittées qui me jouent des tours.

Je retourne chez Pierre-Jean. Son cours de gym finit à 11h30, il est certainement chez lui. Pourtant, personne ne vient. La mort dans l’âme je retourne chez le voisin qui ouvre sa porte avant même que je ne sonne.

 

-       Entrez, entrez.

 

Je suis complètement désemparée, heureusement, il me reste la solution d’appeler mes parents.

 

-       Allo Papa ? Oui c’est moi. Pourrais-tu venir me chercher, j’ai un problème. Ah la voiture est en panne ? Je vois.

 

Mon désarroi est tel, que je lâche ma serviette ? Je me retrouve quasiment nue dans le salon du voisin qui se met à genoux devant moi.

 

-       Ma chère, vous êtes si belle. Mon petit lapin !

 

Il commence à m’embrasser les jambes cet imbécile libidineux. Je sors en courant. Me revoilà dans la rue, quelle sotte ! Et Pierre-Jean qui ne revient pas, où est-il ? Et Priscilla, si elle était moins tête en l’air, je ne serais pas dans une telle situation ! Tout le monde me laisse tomber. Je me redresse.

 

-       Marie, tu en as vu d’autres, tiens le coup !

 

Je décide de me rendre chez mes parents. Ils n’habitent pas tout près. Le sel me gratte, j’ai froid, je claque des dents. Je décide de garder le bonnet de bain et les lunettes. Ça ne m’évitera pas le ridicule, mais peut-être la pneumonie. En plus, je préfère qu’on ne me reconnaisse pas. Qui fera le rapprochement avec la célèbre avocate havraise ? Après une vingtaine de mètres, je dois me rendre à l’évidence, aller à pied chez mes parents est mission impossible. Même Tom Cruise dans la même situation (l’image réussit à me faire rire), jetterait l’éponge. Le terminus du tram n’est pas loin, je vais me mettre dans un petit coin, avec un peu de chance, on ne me remarquera pas. Aussitôt pensé, aussitôt fait ! Je me précipite sur un fauteuil, et je me fais toute petite.

 

Tout se passe pour le mieux jusqu’à la troisième station. Un groupe de jeunes montent :

 

-       Eh les gars, visez la meuf, è s’croit à la plage !

 

-       Ma parole, j’y crois pas, elle est dingue ! Eh les mecs, venez voir !

 

Je me retrouve avec cinq ados autour de moi en train de rire et de m’interpeller. Le plus déluré du groupe s’assoit à côté de moi.

 

-       Vous êtes charmante, il est où vot’ mari ? Il vous laisse sortir comme ça ? Il est fou !

 

Je ne réponds rien. Je dois descendre à l’arrêt suivant, je me lève avec un air hautain et je me dirige vers la porte. Sur le quai, des hommes habillés tout en noir attendent. Ce sont des contrôleurs ! Je suis tellement affolée que je fais presque pipi dans mon maillot à pois. Je me retrouve pratiquement dans la même situation que ces émigrés clandestins que je défends : seule, désemparée, vulnérable, physiquement différente, et pas du tout en règle. Le basculement de situation est vraiment rapide, je suis passée de la bourgeoise insérée dans la société, à la marginale montrée du doigt.

 

-       La vie d’ma mère j’la connais, c’est mon avocate !

 

Je n’ose pas regarder, le jeune qui a prononcé ces mots.

 

-       Ben qu’est-ce qui vous arrive m’dame ? Vous avez des problèmes ?

 

-       Tu la connais d’où cette meuf ? C’est une copine à toi ? Eh les mecs, c’est la meuf à Braillane (note de l’auteur : orthographe approximative qui sert à coller au plus près à la prononciation du  prénom du personnage) !

 

-       Ta gueule, j’te dis qu’j’la connais.

 

Il me glisse une carte de tram dans la main.

 

-       J’crois qu’vous avez pas payé. Les gars, on descend ici.

 

Ils m’entourent, et nous sortons du wagon en groupe. Les fonctionnaires nous demandent nos titres de transports. Je suis complètement dissimulée par mes cinq gardes du corps improvisés. Nous nous éloignons de la station, et Brian me demande ce que je fais là.

 

-       Faut pas vous promener comme ça Madame Hartman, y’a des gens qui pourraient profiter de la situation.

 

Je prends le temps de regarder ce grand jeune homme, je l’ai effectivement défendu il y a quelques temps. Il avait volé pour nourrir ses frères et sœurs. Sa mère était à l’hôpital avec un cancer, et son père avait déserté le domicile conjugal depuis longtemps déjà. Il avait aussi des activités annexes de dealer de marijuana, mais j’avais réussi à faire pleurer la juge, et elle avait arrêté les poursuites à son encontre. A l’époque, je me disais qu’il aurait sûrement pu trouver un travail pour aider sa famille. Certaines personnes ont le don de se trouver dans des situations scabreuses. Maintenant, je suis l’une d’entre elles.

 

-       Merci Brian, je suis allée à la plage, et j’ai oublié mes clefs.

 

Je fonds en larmes, la tension est trop forte.

 

-       Vous inquiétez pas, on va venir avec vous. Vous allez où comme ça ?

 

-       Chez mes parents.

 

 

 

-       OK, pas d’problème.

 

Je continue ma route avec ma nouvelle escorte. Ils sont très pittoresques, couverts de chaînes en or, de casquettes et de baskets très voyantes. Finalement, on forme un ensemble assez homogène. Dans une petite rue, une voiture s’arrête à notre hauteur. La police ! Ils descendent très vite de leur véhicule :

 

-       Vos papiers s’il vous plaît !

 

Je m’avance vers les deux agents, de manière très digne :

 

-       Bonjour, je me présente, Marie Hartman. Je suis avocate. Je suis allée prendre un bain de mer, et j’ai oublié mes clefs. Ces jeunes gens ont aimablement proposé de m’accompagner chez mes parents. Vous comprendrez que je ne peux pas rester dans cet accoutrement.

 

Les policiers restent sans réaction.

 

-       Vos papiers !

 

-       Je suis dans l’impossibilité de vous montrer mes papiers.

 

Ils me regardent comme si je venais de la planète Mars. Un des hommes observe les alentours, l’autre continue d’un air exaspéré:

 

-       Les jeunes-là, vos papiers ! Vous, dit-il en me lançant un regard menaçant. On s’occupera de vous plus tard. Vous croyez que c’est une tenue pour vous balader dans la rue ? Avec des mineurs en plus ! On va vous embarquer, vous nous expliquerez ça à l’hôtel de police.

 

Mes amis sortent leurs cartes d’identité. Le deuxième policier a l’air de plus en plus étrange.

 

-       C’est la caméra cachée ? Surprise surprise ? Non je sais, c’est « Les Improbables », je les ai vu au Théâtre des Bains douches, je sais qu’ils font ce genre de farces.

http://www.youtube.com/watch?v=BgGHqvH1QBg

 

Kalidou, le plus petit de mes anges gardien sourit :

 

-       Oui m’sieur, vous avez deviné ! On va continuer. On n’vous la fait pas à vous, vous êtes des malins !

 

Les policiers sont ravis :

 

-       C’est notre métier, vous savez. On est filmés, ça passe quand à la télé ?

 

-       Ça passera au cinéma avant le film, faut surveiller !

 

-       Bon courage, c’est rigolo votre sketch !

 

 

-       Merci !

 

Les deux policiers remontent dans leur voiture, l’un expliquant à l’autre le travail de la petite troupe locale de comédiens.

Notre groupe repart, et j’arrive enfin saine et sauve chez mes parents. Quelques minutes plus tard, Pierre-Jean vient me chercher avec des vêtements secs et une grosse veste polaire. Il avait rencontré une amie et était resté à discuter sur le chemin du retour, en plus il avait oublié son portable chez lui ! Un malheureux concours de circonstances en fait.

 

Belle expérience finalement ! Un peu angoissant de se retrouver de l’autre côté de la barrière mais enrichissant. L’enchaînement de tous ces événements a fait que j’aurais pu me retrouver en réel danger. Je me suis sentie si impuissante, si démunie, sans aucune défense. Pas de vêtements, pas de logement et pas d’argent. J’ai eu si froid, si peur ! Cet épisode de ma vie n’a duré qu’1h30, mais il m’a semblé très long. Pourtant, je savais que j’avais des solutions, je connaissais du monde, j’étais dans ma ville, dans mon pays, je parlais la même langue que les gens qui m’entouraient.

 

Dès le lendemain, je me suis dit qu’il fallait que je conjure le sort. Je ne pouvais pas rester sur cet échec. Il faisait beau, la mer me faisait de l’œil, je suis repartie prendre un bain.

 

 

 

 

Photographie par Damien Vasseur

 

 

 

 

La Belgique

Il y a une exposition Van Gogh à Amsterdam, tout le monde en parle, il faut absolument aller voir ça ! Nous avons 5 jours de congés, c’est le weekend de Pâques.

Malheureusement plus aucune chambre de libre dans toute la Hollande, comment faire ? J’appelle l’office de tourisme de Belgique à Paris, et réussit à trouver une chambre dans un trois étoiles à Bruxelles près du parlement européen, à un prix défiant toute concurrence.

Nous partons en voiture, il pleuviote, il ne fait pas très chaud, mais nous ne sommes qu’à Pâques ! Nous traversons le nord de la France, et nous sommes surpris de voir de très belles plages de sable, des dunes, et des maisons en briques avec des fenêtres et des portes peintes de toutes les couleurs, jaune, rouge, vert , ils osent tout, et tout devient plus gai, on ne voit plus le ciel gris.

Nous arrivons très vite en Belgique et à Bruxelles. La ville est très jolie, très propre, il y a de très belles rues pavées .Nous nous garons dans le parking de l’hôtel, à deux pas de la Grand’Place. Il fait presque nuit, la place est magnifique. Nous dînons au restaurant de l’hôtel, en apéritif je prends une Babar au miel, c’est une bière sucrée, il y a 1317 bières différentes en Belgique, avec des noms très amusants il y en a une pour chaque occasion. Une petite histoire est écrite sur le menu :

 

L’Agent Provocateur  peut être bue au début de la rencontre amoureuse, La Blanche Foudroyante entre en scène, ensuite les choses sérieuses commencent avec la Boon Mariage Parfait Kriek ; pour le voyage de noce on prendra de la Chapeau Exotic, on consommera sans modération la Fruit défendu

ensuite arriveront les petites cannettes de Cuvée des Trolls, malheureusement Fraise Foudroyante Grande Réservese montrera, la femme noiera son chagrin avec la Delirium Tremens ou la Delirium Christmas, souhaitera une Mort Subite au Brigand et à sa Poiluchette Blonde Cuvée du Château. »

 

Tous ces noms de bière existent bien entendu !

 

Les Belges ne se prennent jamais au sérieux, et ils ont un humour décapant. J’en ai la preuve dans le livre que j’ai amené avec moi, « La petite fêlée aux allumettes » de Nadine Monfils. On y découvre un philosophe redoutable en la personne de Jean-Claude Van Damme, elle utilise de vraies citations qui serviront de ligne de conduite à ses personnages :

 

« Jouer Neutral, vivre vertical, je suis catholique, le serpent et la pomme j’y crois plus, les serpents c’est gentil, et la pomme c’est bon, c’est plein de pectine, dans l’an 3000 les gens vont parler avec les yeux, avec les ondes, les baleines le font déjà et les dauphins aussi, ils sont très intelligents, ils vivent dans la mer, alors que nous on vit dans la terre, ils se communiquent et vu qu’ils sont dans la mer ils sont obligés de se créer des ondes de love ou de hate »

 

Hum, hum à méditer…

Je prends un waterzooi de poulet et mon mari une carbonade de bœuf  accompagnée de stoemp, une purée à base de pommes de terre et d’un autre légume, ici des carottes. En dessert, une tarte aux pommes et speculoos. C’est très bon.

Le prix de la chambre est affiché sur la porte, il est exorbitant :

« Tu es sûre que tu as un prix spécial », me demande mon mari très inquiet.

« Mais oui pas de problème », la bière bue au dîner fait que j’ai du mal à m’inquiéter pour quoi que ce soit ! C’est peut-être ça le secret de la bonne humeur des Belges…

Le lendemain direction la Hollande. Nous visitons l’exposition Van Gogh, curieusement il y a beaucoup moins de monde que prévu. Après 4 heures passées dans le musée, nous repartons vers le plat pays de Jacques Brel. Encore un Belge célèbre ! Plus intello que Jean-Claude tout de même. Il y a d’autres chanteurs que nous connaissons : Arno, Johnny, Lio, Héléna Noguerra, Gotye…

Les acteurs sont sympas aussi, la belle Cécile de France, Yolande Moreau, Emilie Dequenne, et bien sûr Benoît Poelvoorde.

Nous décidons de visiter Bruges, la Venise du nord. Il pleut mais les canaux sous un ciel gris sont tellement beaux ! Nous louons un tandem et nous nous arrêtons près du Beffroi. Un cornet de frites à la main, nous admirons les vieilles bâtisses qui se reflètent dans l’eau.

« Demain j’aimerais aller à Ostende, j’adore la chanson de Bashung, j’aimerais aller me balader en bord de mer ».

Mon mari n’y voit aucun inconvénient, il est fan de Bashung lui aussi.

Sur la route, nous croisons des cyclistes, la Belgique est aussi la patrie d’Eddy Mercks.

« À Ostende
Je tire au stand
Je gagne des otaries

La mer se retire
Cache ses rouleaux
À l'ombre des digues
Elle et moi on s'ennuie

Nos souvenirs
Font des îles flottantes
À Ostende
J'ai la hantise de l'écharpe
Qui s'effiloche à ton cou »

 

Nous regardons la mer, je porte une écharpe, cette chanson serait-elle prémonitoire ? Nous nous séparerons 15 ans plus tard.

J’ai un peu le bourdon, en visitant les rues commerçantes, nous découvrons la boutique de Dries Van Noten. J’adore ses vêtements confortables aux couleurs naturelles du gris, du noir, du beige, ou du marron. Il y a de grands manteaux, des grandes vestes un peu masculines mais très jolies et très élégantes.

Nous mangeons une gaufre, et mon mari insiste pour faire une provision de pralines, les fameux chocolats belges.

« A Bruxelles, il faut absolument qu’on visite le musée de la BD ! »

Le jour suivant, mon mari m’entraîne dans un bâtiment Art Nouveau, très joli où se trouve la fine fleur de la bande dessinée belge. La brasserie Horta est magnifique !

« On peut visiter sa maison, je crois ! »

L’après-midi, nous trouvons avec difficulté la maison du célèbre architecte. L’intérieur est splendide, il y a un puits de lumière au niveau de l’escalier en bois couleur miel, qui ensoleille toute la maison.

Il fait très beau, nous décidons de pique-niquer sur un banc, dans un parc, non loin de là.

Demain il faudra repartir. Sur le chemin du retour, nous nous arrêterons à Mons, puis l’autoroute nous ramènera à Rouen où nous habitons.

Huit mois après notre fille naîtra, elle est blonde aux yeux bleus, est-ce l’influence de la Belgique où elle a probablement été conçue ?

Quelques années plus tard, j’emmènerai mon nouvel amoureux en Belgique, c’est probablement le pays des amoureux, cette histoire d’amour finira encore mal, mais n’est-ce pas le lot des histoires d’amour en général ?

 

Belle et cruelle

Calixte Savage est extrêmement  belle, les gens se retournent sur son passage, sa famille s’extasie :

« Quels yeux magnifiques ! »

« Quelle chevelure ! »

« Quelle allure ! »

Calixte a les cheveux noirs ébène, le soleil semble jouer avec elle et crée des reflets bleutés sur ses boucles. Elle a de grands yeux verts qui semblent vous captiver dès qu’elle vous regarde. Elle est grande et mince, elle se déplace comme un chat, sans bruit, avec élégance et grâce.

 

Un jour, une jeune fille vient habiter dans son village. Elle a les yeux bleus marine. La mère de Calixte dit à sa fille :

« Tu as vu les yeux de la nouvelle locataire de Célestine ? Je n’ai jamais vu des yeux pareils, ils sont couleur saphir. »

Calixte n’a jamais eu de concurrence dans le village. C’est elle qui a les plus beaux yeux. Cette attitude peut paraître puérile, mais notre  demoiselle est « belle » comme on est  « humain ».  Lui enlever cet attribut serait comme l’amputer d’un membre.

Un jour elle croise sa concurrente dans la rue. Les yeux de la jeune fille sont en effet d’un bleu si profond qu’on ne peut que s’extasier. Au détour du pâté de maison, Calixte pousse sa rivale dans un jardin désert, et l’étrangle avec un fil à couper le beurre. Les yeux de la belle se ferment à jamais.

Le lendemain en se promenant près du canal, Calixte croise Linda la fille du boulanger. Elle a bien grandi et ses cheveux sont magnifiques. Elle les porte longs jusque dans le bas du dos, ils sont d’un blond vénitien tout à fait remarquable. C’est insupportable  pour notre héroïne qui la pousse dans l’eau, et voit la chevelure de Linda disparaître dans un tourbillon.

Sur le chemin du retour, c’est Anita qui a la mauvaise idée de passer par là. Elle est grande et très jolie, elle dépasse Calixte de quelques centimètres. Sur une photo, ou dans la foule, cette dernière disparaîtrait complètement derrière Anita. C’est intolérable ! Calixte lui tranche la carotide à l’aide d’un petit couteau offert par son père.

La jeune fille rentre chez elle, en se sentant plus jolie que jamais. En traversant la rue, elle n’a pas vu une voiture qui arrivait assez vite, elle se fait renverser. A son réveil, Calixte a complètement perdu la vue. Ses yeux, ses cheveux, tout son corps est intact, mais elle ne pourra plus jamais se contempler dans un miroir, ni voir les jeunes filles plus jolies qu’elle…

Calixte a finit sa vie heureuse parmi les siens, sans aucun remord pour les trois meurtres qu’elle avait commis. Personne ne l’a jamais soupçonné. Qui est le plus coupable ? Ceux qui lui ont fait croire qu’elle devait être la plus belle pour exister à leurs yeux, ou Calixte elle-même qui ne pouvait pas imaginer que la beauté est aussi éphémère que la vie, et pour qui l’existence de trois jeunes filles ne pesait rien.

 

C'est la photo de cette belle falaise qui s'écroule qui a inspiré cette histoire, elle est belle et cruelle.

Le bonheur est là

Alphonse roule à toute vitesse sur l’autoroute, il veut battre son record. Il sait qu’après le virage, il y a une longue ligne droite. Il se prépare, il regarde à droite, à gauche, derrière. Il n’y a rien devant. Tous ses sens sont en alerte. Il met les gaz, sa Bandit se cabre comme un cheval, elle répond au doigt et à l’œil cette grosse machine. Il se met en limande derrière le saut de vent, et met la poignée en coin. Le bruit est assourdissant, le paysage ressemble à un film en accéléré de chaque côté du bitume. 130, 200, 250, 280, le guidon ne bouge absolument pas, c’est magique. Ça le prend aux tripes, il a vraiment l’impression de vivre ! Ça dure une minute, voire deux. Il faut ralentir maintenant, la fin de la ligne droite se rapproche tellement vite. Alphonse relâche la pression sur l’accélérateur. La vitesse redescend lentement, il est à 130 km/heure et a l’impression de se traîner. Les limitations de vitesse, quelle bêtise ! Dans le prochain virage, la vitesse ne doit pas dépasser 50, Alphonse se conforme aux indications du panneau. Mais soudain, sa moto dérape sur une nappe d’huile, il glisse pendant un long moment, la moto est complètement couchée par terre. Quand elle s’immobilise il ne sent plus sa jambe. Alphonse s’est cassé le fémur dans plusieurs endroits, et il a le bassin fracturé. Il se retrouve en rééducation à Granville pour plusieurs semaines. Entre les séances de kiné, les exercices en piscine et les soins à base de produits marins il rencontre d’autres patients. Clémence est très jolie, elle est grande et très fine. Elle est danseuse classique. Des heures d’exercices ont abîmé l’articulation de sa hanche. François est un homme politique connu, il a été blessé au bras et à l’épaule lors d’un attentat à la bombe . Jean est maçon, il a le dos meurtri après 20 ans passés à construire des maisons. Et enfin Bernadette. Son bras a gonflé après l’ablation d’un sein touché par le cancer, il faut le rééduquer. Les cinq amis déjeunent généralement ensemble. Alphonse est toujours aussi enthousiaste : - Pour être heureux, je veux tout essayer, ma vie me semble trop courte pour arriver à faire tout ce que j’aimerais expérimenter. J’ai toujours envie d’une nouvelle activité, d’un nouvel objet, d’une nouvelle femme aussi. Au bout d’un moment je me lasse et il me faut de la nouveauté. - Mais tu ne fais rien à fond, et il te manque toujours quelque chose, répond Clémence. Moi la danse est ma passion et je ne conçois pas de ne la pratiquer qu’à moitié. Il faut tellement de travail pour arriver à la perfection, mon bonheur est de réussir à exécuter un mouvement parfaitement. J’ai une vie saine et je fais de l’exercice. - Le travail, il n’y a que ça de vrai, acquiesce Jean. J’ai commencé à 16 ans et j’adore mon métier. J’aime la belle ouvrage, un mur bien droit et solide, pas comme mon dos, ajoute-t-il en riant ! La félicité se trouve dans le travail, la satisfaction d’avoir participé à un beau projet, mais il faut faire des choses utiles et pouvoir nourrir sa famille. - Certainement, dit François, mais le bonheur n’est valable que s’il est partagé. Un individu ne peut pas être complètement heureux s’il vit au milieu de gens désespérés. J’ai choisi mon métier pour pouvoir changer les choses dans mon pays et permettre au plus grand nombre de vivre suivant ses aspirations. Bernadette est certainement celle qui a la pathologie la plus grave, pourtant elle est étonnamment sereine. - Tout ce que vous dites est très bien. Profiter de la vie et de tout ce qu’elle propose, avoir une vie saine et disciplinée pour être bien et accomplir de belles choses. Travailler dur, s’occuper de sa famille. Aider les autres. Mais tout cela n’est qu’une illusion du bonheur. Pour moi, le véritable bonheur ne peut pas se trouver sur terre, nous essayons de l’atteindre mais c’est impossible. Seul Dieu est notre véritable salut. Quelques temps après cette conversation, Bernadette meurt. Les quatre amis vont à son enterrement. - Pensez-vous qu’elle a trouvé le bonheur ? Demande Clémence. - Comment le savoir, répond Alphonse. Je continue de penser qu’il faut profiter de tout ce que nous propose la vie, elle est décidément bien trop courte. - Elle a au moins la satisfaction de laisser quelque chose à ses enfants, dit Jean. - C’était une personne généreuse, ajoute François. Ils regardent par la fenêtre, la pluie tombe toujours, les jardins vont être splendides, l’herbe est d’un joli vert et les framboisiers adorent les arrosages répétés. Le bonheur est peut-être tout simplement là !